La crise, le NPA, l’écosocialisme....par Raoul Marc Jennar
C’est
la crise ! Mais, si on y réfléchit un instant, c’est tout le temps la
crise ! Avons-nous connu depuis 30 ans des périodes où ce n’était pas
la crise ? Et même avant. Je suis né au début de ce qu’on a appelé
« les Trente glorieuses ». Mais elles étaient glorieuses pour qui ?
Pour les mineurs dont on fermait les charbonnages ? Pour les ouvriers
de la sidérurgie dont on fermait les usines ? Pour tous les autres qui
ont du attendre le plus grand mouvement social de l’après guerre, Mai
68, pour recevoir enfin quelques miettes des profits engrangés par le
patronat ? Et même quand, soi-disant, ce n’est pas la crise. Quand
les taux de croissance montent. Quand les entreprises font des profits.
C’est quand même la crise pour celles et ceux qui subissent les
fusions-acquisitions, les restructurations, les délocalisations, les
dérégulations, les suppressions d’emplois dans des boites qui font
pourtant des bénéfices. Et enfin, pour des millions de gens qui, quand ils ont
payé leurs charges, n’ont que 50 euros par mois pour se nourrir,
n’est-ce pas, et depuis longtemps, la crise tous les jours ? La vérité, c’est que le capitalisme, c’est la crise.
C’est un système qui génère les crises. Il y a des crises financières,
des crises économiques, des crises sociales, des crises alimentaires,
des crises sanitaires, des crises écologiques. Et chaque fois, au nom
de ces crises, le capitalisme impose ses solutions, des solutions qui
maintiennent les inégalités, des solutions qui entretiennent
l’exploitation, des solutions qui protègent l’accumulation des profits
par un petit nombre. Et quand la crise ne suffit pas, il fait la
guerre. Rappelez-vous ce que disait Jaurès : « Le capitalisme porte en
lui la guerre comme la nuée porte l’orage ». Là où le capitalisme ne
peut exploiter en toute liberté, il provoque la guerre. Bien des
guerres en Afrique qu’on nous présente comme des guerres civiles ou
tribales sont en fait des guerres provoquées par le capitalisme. La
guerre en Irak est une guerre du capitalisme. En 1991, lors de l’effondrement de l’empire soviétique,
le discours dominant a consacré l’échec du communisme. Nul ne peut nier
que le capitalisme d’Etat, bureaucratique et policier, a échoué à
réaliser l’idéal communiste. Mais cet échec nous condamne-t-il à nous
résigner au capitalisme ? N’est-ce pas le moment de dire haut et fort aux
capitalistes : quel est votre bilan ? Quels sont, pour le plus grand
nombre, les résultats du capitalisme ? Quand près de trois milliards d’humains n’ont pas accès
au savoir, aux nouvelles technologies et aux nouveaux savoir-faire qui
pourraient améliorer leur niveau de vie, quand deux milliards de
personnes n’ont pas accès aux médicaments essentiels, quand un milliard
et demi de gens vivent avec quatre-vingt dix centimes d’euro par jour,
quand un milliard de personnes souffrent de la famine, quand un
milliard d’adultes dont deux tiers sont des femmes sont analphabètes,
quand plus de 150 millions d’enfants n’ont pas accès à l’école
primaire, dont la moitié sont des filles, quand 44% de la jeunesse du
monde en âge de travailler sont au chômage, quand, dans une Europe si
riche, il y a 50 millions de pauvres et 18 millions de chômeurs,
n’est-on pas en droit de demander : capitalistes où est votre succès ? Le capitalisme a bénéficié, avec les dérégulations
massives décidées au niveau mondial comme au niveau européen, d’une
liberté comme jamais il n’en avait connu depuis le 19e siècle. Et voilà
son bilan. Certains vous diront. : « Vous vous trompez. Regardez en
Chine, depuis qu’ils sont passés à l’économie de marché, 400 millions
de Chinois sont sortis de la pauvreté ». Ils oublient de dire qu’un
milliard de Chinois sont restés dans la pauvreté. Parce que,
fondamentalement, c’est cela le capitalisme : c’est l’organisation de
l’inégalité ; c’est l’exploitation de la majorité par un petit nombre. Face à cette réalité, on observe deux comportements. Il
y a ceux qui considèrent que le capitalisme fait partie de l’ordre
naturel des choses et que la crise d’aujourd’hui n’est qu’un dérapage
de mauvais capitalistes qu’il faut punir pour revenir au bon
capitalisme, que la démocratie libérale et l’économie de marché, sont
le moins mauvais de tous les systèmes, comme le disait avant hier soir
sur France 2 le ministre des finances de Belgique. Ceux-là, on les trouve à droite, bien entendu, au
centre évidemment, mais également, à gauche. Ce sont en effet des
sociaux-démocrates qui, à partir des années 80, en France comme dans le
reste de l’Europe, ont accompagné et très souvent initié ce qu’on
appelle la mondialisation, cette transformation du monde en un marché
global où la puissance publique s’efface devant les acteurs économiques
et financiers, où les humains sont traités comme des marchandises
soumis aux lois d’une concurrence qui doit être libre et non faussée.
La loi de déréglementation financière est une loi du PS. L’Acte unique
européen et le traité de Maastricht, proposés par Jacques Delors, sont
l’œuvre des sociaux-démocrates. La gauche plurielle partage avec onze
autres gouvernements sociaux-démocrates la responsabilité de la
stratégie de Lisbonne et des décisions de Barcelone sans lesquelles le
démantèlement des services publics et du droit du travail n’aurait pas
été possible. Et on a trouvé à la direction du PS les plus ardents
défenseurs du traité constitutionnel européen préparé sous la direction
de Giscard d’Estaing. Les mêmes souhaitent aujourd’hui ardemment
qu’entre en vigueur ce copié collé du TCE qu’est le traité de Lisbonne
pourtant rejeté par le seul peuple qui ait pu s’exprimer, les Irlandais. Face à ces libéraux de droite et de gauche auxquels
s’ajoutent ceux qui les suivent pour ne pas perdre les mandats que leur
accorde l’alliance avec le PS, il y a ceux qui sont convaincus que le
capitalisme n’est pas l’horizon indépassable de l’humanité. Ceux qui ne
se résignent pas à voir le drapeau de la révolte tomber des mains de
Rosa Luxemburg dans celles de Ségolène Royal. On les trouve parmi celles et ceux qui ont fait
campagne et ont soutenu le non de gauche au TCE. On en trouve parmi
celles et ceux qui ont soutenu l’un ou l’autre des cinq candidats à la
gauche du PS lors des présidentielles de l’an passé. Et on en trouve
même, je tiens à le dire tout de suite, parmi les femmes et les hommes
qui ont apporté leur voix au PS ou aux Verts. Faute de mieux à leurs
yeux. Et au-delà de celles et ceux qui accompagnent ou soutiennent un
parti politique, on en trouve parmi ces dizaines de milliers de gens
qu’on appelle parfois des non encartés, altermondialistes,
anti-nucléaires, écologistes, décroissants, faucheurs volontaires,
militants des droits humains dont le grand rassemblement du Larzac, en
août 2003, fut pour beaucoup, un moment fondateur. C’est à ces femmes et ces hommes qui ne se résignent
pas au capitalisme que la LCR offre une perspective. Moi qui ne suis
pas membre de la LCR, qui n’appartient pas à la culture politique née
de 1917, - ma culture politique, elle puise dans 1793 et 1871 et chez
l’homme massacré en août 1914, au Café du Croissant à Paris - qui suis
un de ces non encartés, je tiens à le souligner ici avec force : la
décision de la LCR de se dissoudre pour se fondre dans un mouvement
politique qui la dépasse, qui embrasse à la fois la question sociale et
la question écologique et qui s’ouvre à toutes celles et ceux qui
partagent ce projet écosocialiste, c’est une décision sans précédent
dans l’histoire du mouvement ouvrier français. Nous sommes, j’en suis convaincu, des millions à rêver
d’une gauche qui ne se renierait pas chaque fois qu’elle arrive au
pouvoir, d’une gauche qui affirmerait sans complexe : « oui, il y a eu
et il y a encore des exploiteurs et des exploités », d’une gauche qui
reconnaît la réalité de la lutte des classes même si la composition des
classes et les formes de la lutte ont changé. Nous sommes des millions
qui n’acceptons pas le capitalisme comme une fatalité. Nous sommes des
millions à vouloir une alternative. Cette alternative, si nous le
voulons tous ensemble, avec le NPA, elle est maintenant possible. Nous sommes à la tâche. Et nous sommes nombreux. Nous
sommes riches de nos diversités, de nos cultures politiques
respectives, de nos expériences et aussi de la fraîcheur et de la
créativité de celles et de ceux qui n’ont pas d’expérience, si ce n’est
celle de leurs premiers pas dans la vie et de leurs premières
confrontations avec le capitalisme. J’ai qualifié le projet que nous portons d’une
expression nouvelle dans le vocabulaire politique : écosocialisme.
Qu’entendons-nous par là ? On part d’un constat : le capitalisme exploite les
humains et la terre. Il est à l’origine de la question sociale et de la
question écologique. Comme l’a si bien observé François Chesnais, Marx
déjà constatait que « la production capitaliste ne se développe qu’en
épuisant les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le
travailleur » (Le Capital, p.182). Et Chesnais a très justement déploré
que « la pensée critique se réclamant du marxisme a été terriblement
déficiente sur le plan des rapports à la nature ». Une approche écosocialiste, cela signifie satisfaire
les besoins sociaux de manière écologique. Et la satisfaction
écologique des besoins sociaux ne peut se réaliser ni par des voies
autoritaires, ni par des voies fiscales. Seule la délibération démocratique peut présider à la
définition des choix. Ce qui implique de revisiter la démocratie pour
en faire ce que, déjà, Jaurès appelait de ses vœux : un outil
révolutionnaire. Mais le danger immédiat qui nous guette, c’est le
traitement capitaliste des problèmes écologiques. Un capitalisme vert
est en cours d’élaboration. On en a vu des prémisses avec le Grenelle
de l’Environnement et les multiples taxes envisagées par le
gouvernement. C’est faire payer par le plus grand nombre le coût des
dégâts écologiques provoqués par les profits de quelques-uns. Ce sont
les solutions avancées par la droite, mais aussi par les
sociaux-libéraux, par les Verts et par tous ceux qui refusent
d’accepter que la course au profit est à l’origine de la destruction de
l’environnement avec ses conséquences pour la santé, pour la
préservation de la biodiversité, pour le maintien des grands équilibres
et pour la survie même de la planète dans l’état où les générations
précédentes nous l’ont léguée. C’est un immense chantier qui s’ouvre devant nous.
C’est notre volonté de saisir à bras le corps le double impact social
et écologique du capitalisme. Aucune solution n’est durable si elle se
contente d’aménager le système. C’est bien là que se trouve la
justification de notre démarche anticapitaliste. Au regard de ce que
nous voulons entreprendre, nous pouvons faire beaucoup plus que de la
politique. Nous pouvons écrire une page d’histoire. (Intervention faite au meeting NPA 66, à Perpignan, le 18 octobre 2008)